Sécheresse, inondations, violences liées aux luttes pour le contrôle des ressources naturelles, insécurité inhérente à l’extrémisme religieux, déplacement forcé de populations… La région est confrontée à des chocs et des aléas complexes et interconnectés, qui ne peuvent être contrés que par des réponses de terrain. Blerta Cela, Directrice de la Facilité régionale de stabilisation du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour le Liptako-Gourma et le lac Tchad, préconise des investissements dans une réponse axée sur les besoins communautaires, tenant compte des interactions entre le climat et les risques de violences, pour renforcer la résilience et promouvoir une paix durable dans le Sahel.
Des menaces graves pesant sur les moyens de subsistance et la vie des populations.
Solange, agricultrice de Kassalare dans le Hadjer Lamis au Tchad, a fui son village en 2021 en raison du conflit armé. Avec sa famille, ils ont trouvé refuge à Baltram, où le gouvernement tchadien, via la Facilité régionale de stabilisation, soutient l’intégration des populations déplacées. Quelques mois après son arrivée, Solange partage : « Après avoir tant travaillé sur nos terres, il a été difficile de partir. Heureusement, à Baltram, nous nous sommes sentis bien accueillis. On nous a attribué des terres et des équipements pour relancer nos activités agricoles. Aujourd’hui, cultivant du maïs et du riz, je retrouve une certaine normalité, telle que nous avions à Kassalare. Cela me donne de l’espoir pour toute notre communauté. »
Au Sahel, les températures augmentent 1,5 fois plus rapidement que la moyenne mondiale, menaçant les 50 millions d’habitants de la région, particulièrement les femmes et les filles dépendant de l’élevage et de l’agriculture[1]. A cela doit s’ajouter la survenue d’événements météorologiques extrêmes, accroissant les risques de catastrophes et menaçant les moyens d’existence des personnes les plus vulnérables. En 2022, au Tchad, les pluies les plus abondantes des 30 dernières années ont déplacé un million de personnes et endommagé plus de 465 000 hectares de terres agricoles[2]. Les inondations au Niger au cours des deux dernières années ont engendré des conséquences humaines et matérielles particulièrement dévastatrices[3].
Pour les communautés locales, ces effets des changements climatiques s’ajoutent aux défis des violences liées au banditisme, aux conflits intercommunautaires et aux menaces de l’extrémisme religieux. Selon le Centre Africain d’Études Stratégiques, les incidents liés à l’extrémisme religieux du Sahel représente 40 % de toutes les activités des groupes militants islamistes en Afrique[4].
Changement climatique et risques de violences liées aux ressources : Interactions complexes et effet multiplicateur
Les observations dans nos zones d’intervention indiquent comment les effets du changement climatique agit avec les pressions politiques et sociales, accentuant les vulnérabilités et les tensions existantes.
Au Sahel, les conditions climatiques de plus en plus défavorables, la rareté croissante des ressources en terre et en eau, ainsi que le déplacement forcé de plus de 5,6 millions de personnes[5] intensifient les tensions existantes, générant parfois des conflits, comme dans le sud-ouest du Nigeria entre éleveurs nomades Fulani migrants et agriculteurs Yoruba autochtones.
Dans la région du Lac Tchad, où les populations dépendent largement de l’eau du lac et des précipitations, l’insécurité et les conflits armés entravent fréquemment l’accès vital à l’eau, intensifiant les rivalités entre agriculteurs et éleveurs face aux fluctuations saisonnières des précipitations.
Par ailleurs, des études de l’Institut norvégien des affaires internationales et de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm[6] indiquent que le changement climatique influence la prise de décision, le recrutement et les tactiques des groupes armés terroristes au Sahel, ciblant particulièrement les jeunes marginalisés avec des incitations économiques et alimentaires en échange de leur loyauté.
La nécessité d’une réponse basée sur les besoins des communautés, intégrée et sensible au climat
La priorité doit être accordée à l’expertise des communautés locales, les mieux placées pour contribuer aux stratégies de réponse. C’est pour cela que des comités locaux de stabilisation, incluant de nombreux jeunes et femmes, jouent un rôle central dans chaque intervention. Les initiatives de la Facilité régionale de Stabilisation fournissent aux communautés des outils et des solutions basées sur la nature afin de sécuriser leurs moyens de subsistance, améliorer les conditions socio-économiques et renforcer la cohésion sociale dans les zones touchées par les conflits, tenant compte des dynamiques créées par les effets du changement climatique.
Par exemple, nous avons régénéré plus de 650 hectares de sol appauvri à la frontière du Burkina Faso et du Niger, créant des espaces propices aux activités agricoles. Au Cameroun, nous avons formé environ 5 000 agriculteurs, dont la moitié sont des femmes, dans la production et l’utilisation de biopesticides. Au Mali, le programme a soutenu plus de 1 500 personnes avec la provision d’équipements essentiels pour l’agriculture, l’élevage et la pêche, améliorant ainsi la productivité du travail, les revenus des ménages et renforçant la sécurité alimentaire.
L’accès à l’eau portable, rendu possible grâce à la construction de puits communautaire et agropastoraux a permis de réduire les risques de maladies transmises par l’eau et de diversifier la production agricole à travers l’irrigation, au Burkina Faso et au Mali.
De plus, en installant 3 700 lampadaires solaires à travers le bassin du lac Tchad et le Liptako-Gourma, la sécurité est renforcée en particulier pour les femmes et les filles, exposées à des risques accrus de violence.
En soutenant les communautés d’accueil et les populations déplacées par les inondations dans le bassin du lac Tchad, la stabilisation a contribué à résoudre les griefs sous-jacents et à atténuer les risques de conflit.
Avec le retour de plus de 435 000 personnes déplacées internes dans leurs villages depuis le début du programme en 2019, le modèle de stabilisation progresse dans l’un des contextes les plus complexes au monde. Il est crucial de maintenir ces investissements et de les élargir afin d’atteindre plus de personnes, en abordant de manière approfondie l’interaction complexe entre le changement climatique et les violences, pour véritablement renforcer la résilience et promouvoir la paix durable dans la région du Sahel.
[1] OHCHR, Human Rights Climate Change and Migration in the Sahel, 2021, https://www.ohchr.org/sites/default/files/2021-11/HR-climate-change-migration-Sahel.pdf
[2] UNDP, Chad accelerates its race to adapt to climate change. What’s next ?, 2023, https://www.undp.org/blog/chad-accelerates-its-race-adapt-climate-change-whats-next
[3]UNOCHA, Niger : Flash update – Inondations (au 11 Septembre 2023)
https://reliefweb.int/report/niger/niger-flash-update-inondations-au-11-septembre-2023#:~:text=La%20r%C3%A9gion%20de%20Maradi%20est,personnes)%20sont%20les%20moins%20affect%C3%A9es
[4] Africa Center for Strategic Studies, Fatalities from Militant Islamist Violence in Africa Surge by Nearly 50 Percent, February 2023, https://africacenter.org/wp-content/uploads/2023/03/MIG-highlights-2023.pdf
[5] OCHA, Sahel Humanitarian Overview (As of 16 October 2023) https://www.unocha.org/publications/report/nigeria/sahel-dashboard-humanitarian-overview-16-october-2023
[6] NUPI and SIPRI, Climate, Peace and Security Fact Sheet : Sahel, April 2021, https://www.sipri.org/sites/default/files/2023-10/21_fs_sahel_0.pdf
www.24haubenin.bj ; L’information en temps réel
7 février 2024 par