Une chance de guérir la Cedeao de sa malformation congénitale

Le président béninois Patrice Talon exprimait son dilemme lors de sa conférence de presse du jeudi 08 février 2024 au palais de la Marina à Cotonou, sur la position en réponse à la décision des gouvernements du Faso, du Mali et du Niger, tous issus de coups d’État, de se retirer « avec effet immédiat » de la Cedeao. Heureusement, d’autres modèles existants peuvent bien inspirer. En 2025, elle sera vieille d’un demi-siècle et toute réaction complaisante ne ferait que ralentir davantage la réalisation de cette communauté économique.

Le 28 mai 1975, l’ex Haute-Volta, le Mali et le Niger étaient représentés par des militaires à la signature du traité instituant la Cedeao, à Lagos au Nigeria. C’était respectivement le Général Sangoulé Lamizana, le Colonel Moussa Traoré et le Lieutenant-Colonel Seyni Kountché. Cinquante ans plus tard, leurs successeurs à ces fonctions, tous toujours militaires parvenus au pouvoir par des coups d’État, décident de sortir de la CEDEAO. Le Capitaine Ibrahim Traoré pour le Burkina-Faso, le Colonel Assimi Goïta du Mali et le Général Abdourahamane Tiani du Niger donnent à leur décision commune, trois justifications. Primo, la Cedeao ne leur a fourni aucun soutien contre les djihadistes. Secundo, la Cedeao leur a imposé des sanctions ʺillégalesʺ qui nuisent à leurs populations. Tertio, la Cedeao est tombée sous l’influence des gouvernements étrangers. Ces arguments adressés à leurs peuples respectifs dans des contextes de bâillonnement, de peur d’être envoyé de force au front et de persécutions politiques, on pourrait préjuger qu’ils subjuguent plus qu’ils ne prospèrent au sein des opinions nationales de ces pays. Et c’est bien là, la conséquence visible du mal que traîne cette communauté depuis sa création. Quinze chefs d’État dont sept militaires (Mathieu Kérékou, Sangoulé Lamizana, Ignatius Kutu Acheampong, Moussa Traoré, Seyni Kountché, Yakubu Gowon, Éyadéma Gnassingbé) et huit civils (Félix Houphouet-Boigny, Dawda Jawara, Ahmed Sékou Touré, Luiz de Almeida Cabral, William R. Tolbert Jr, Moktar Ould Daddah, Léopold Sédar Senghor et Siaka Stevens) ont répliqué en 1975 par mimétisme, le modèle abouti de la Communauté économique européenne d’alors, mais sans en adopter ni peut-être en comprendre les principes, la démarche et la vision.

CEE-UE : UNE CONSTRUCTION PAR LA DÉMOCRATIE ET DES DROITS DE L’HOMME

Avant le Brexit qui a consacré en 2020 le retrait du Royaume-Uni, l’Union européenne comptait vingt-huit pays. En 1975, lors de la création de la Cedeao, la Cee comptait neuf pays ayant d’ailleurs adhéré par vagues successives. À l’origine, six pays (Allemagne fédérale, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) ont institué par le Traité de Paris du 18 avril 1951, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca). Donc avec au départ, une vocation résolument orientée vers les ressources nécessaires au développement industriel des États au sortir de la seconde guerre mondiale. Ce départ impulsé par les français Robert Schuman, Jean Monnet et l’Allemand Konrad Adenauer, a abouti au Traité de Rome du 25 mars 1957 où ces six pays ont créé la Communauté économique européenne (Cee), institué le marché commun, jeté les bases de la politique agricole commune et signé le même jour, le Traité Euratom créant la Communauté européenne de l’énergie atomique. Les deux traités sont entrés en vigueur le 1er janvier 1958.

Par vagues successives et à mesure de la satisfaction aux exigences de la communauté économique, les autres pays y ont adhéré. D’abord en 1973 avec le Royaume Uni, l’Irlande et le Danemark. En Grèce, après l’abolition de la monarchie et la proclamation de la République, la junte dirigée par le Colonel Georgios Papadopoulos fut affaiblie par la crise avec la Turquie autour de la partition de Chypre et par une contestation populaire qui aboutit à l’instauration d’une démocratie pluraliste suite au référendum de 1974 et à l’arrestation des anciens dictateurs en 1975. C’est alors que son adhésion fut acceptée en 1981. De même, c’est après la révolution des œillets en 1974 au Portugal et la mort en 1975 de Franco en Espagne, que la fin des dictatures salazariste et franquiste ouvrit la voie à une démocratisation qui aboutit à l’acceptation de ces deux pays à la Cee en 1986. Après le Traité de Maastricht de 1993 qui consacra la naissance de l’Union européenne, l’Autriche, la Suède et la Finlande y adhérèrent en 1995. En 2004 après la chute du bloc soviétique, ce fut le tour de Chypre, Malte, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie, la Slovaquie, la République Tchèque, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. La Bulgarie et la Roumanie furent acceptées en 2007 et le dernier adhérant fut la Croatie en 2013.

Comme on le constate, la solidité actuelle de l’Ue est l’aboutissement d’une logique de construction voulue par six pays fondateurs en 1951 sur le fondement de principes de démocratie pluraliste et du respect des droits de l’homme. Elle a permis d’une part, que sur les vingt-sept pays actuels de l’Ue, vingt-deux constituent aujourd’hui l’Espace Schengen permettant le franchissement libre des frontières intérieures, ce qui n’est pas encore une réalité au sien de la Cedeao ; et d’autre part, que dix-neuf soient dans la Zone Euro où la monnaie unique est une réalité. A l’heure actuelle, cinq pays sont candidats à l’entrée : le Monténégro, la Macédoine du Nord, l’Albanie, la Serbie et surtout la Turquie qui a fait sa demande d’adhésion depuis le 14 avril 1987 (avant la naissance de l’Ue) et n’est pas admise à ce jour. Quatre derniers pays ont déposé leur candidature et sont en attente (Bosnie-Herzégovine, Moldavie, Ukraine et Georgie).

CEDEAO : UNE CONSTRUCTION PAR L’ABSURDE

Alors que le modèle européen s’est construit sur les fondamentaux de démocratie et de droits de l’homme qui garantissent une plus forte légitimité des gouvernants à parler au nom et pour le compte des peuples, la Cedeao a été créée dès le départ en 1975 par des dirigeants pour la plupart non-élus, pas seulement des militaires arrivés aux pouvoirs à la suite de putschs, mais aussi des civils qui se sont illustrés par des parodies de démocraties et des dictatures parfois très sanguinaires. Le vent de démocratisation des années 90 n’a pas réussi à instaurer une représentation plus légitime pour une Cedeao des peuples. Le comble, c’est que les dirigeants actuels du Burkina-Faso, du Mali et du Niger semblent ne pas se reconnaître dans la continuité de l’administration de leurs prédécesseurs, militaires ou civils, qui les ont représentés depuis l’acte constitutif de la communauté et au sein de ses instances depuis 1975. Et dans les justifications qu’ils donnent à leur décision de retrait, ils semblent se déresponsabiliser alors que, ce sont les contextes nationaux de gouvernance qui disposent les dirigeants à être des représentants plus ou moins légitimes. Lorsque les rebellions touarègues d’abord et l’extrémisme djihadiste ensuite sont apparues dans ces pays, de quel degré de priorisation ces crises ont- elles bénéficié dans les débats nationaux pour être inscrits comme urgence à l’agenda de la communauté et des dirigeants des autres pays, eux-mêmes confrontés à d’autres priorités ?

Si le modèle européen de communauté économique a choisi de reposer sur le principe de supranationalité et sur la méthode intergouvernementale avec élection directe de députés au parlement européen, c’est justement pour déléguer une partie de leurs compétences et de leur autonomie à des organes communautaires auxquels une réelle capacité et des moyens conséquents d’actions sont donnés. Ainsi, plusieurs politiques communes sont gérées de façon exclusive ou partagée par l’Ue, comme l’union douanière, la monnaie unique, l’agriculture, l’énergie ou en particulier la sécurité notamment aux frontières, celles qui en Afrique, sont les nids de tous les extrémismes ignorés ou parfois frappés de déni par les pouvoirs centraux, militaires ou civils. La construction de la Cedeao, si elle était effectivement centrée sur les aspirations des peuples, s’arc-bouterait plus sur les piliers indispensables à l’activité économique et à l’épanouissement des populations comme le charbon et l’acier, au commencement de l’Ue. Justement depuis 1993, des Critères d’adhésion dits de Copenhague ont été fixés, renforcés en 1995 par le Conseil européen de Madrid : institutions stables garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ; économie de marché viable et capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE ; aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, notamment la capacité à mettre en œuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l’Ue et à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

Le président Talon a eu raison de souhaiter que prévale la Cedeao des peuples face au jusqu’au-boutisme des transitions militaro-civiles qui viennent de décréter de la manière la moins démocratique mais la plus populiste, du retrait de leurs pays de la communauté, « avec effet immédiat ». Face à cet état de fait qui succède à bien d’autres, le danger serait de se presser de retourner au statu quo ante. Il urge de profiter de cette occasion pour décharger la Cedeao de systèmes politiques en contradiction avec ses objectifs de développement harmonieux, tout en veillant à promouvoir avec eux, des cadres de coopération qui permettent à leurs peuples de s’épanouir. Pendant ce temps, elle devra travailler plus que par le passé à plus de rigueur quant au respect des principes de démocratie pluraliste notamment les échéances électorales et de droits de l’homme afin de faire des douze pays restants, un véritable havre de paix et de développement économique. C’est à ce prix que par effet de démonstration, les populations du Burkina-Faso, du Mali et du Niger prendront un jour à travers des dirigeants élus, la décision de postuler à une ré- adhésion à la Cedeao.

Jocelyn Nahama NÉNÉHIDINI

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12 février 2024 par Judicaël ZOHOUN

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