En République du Bénin, les violences conjugales persistent en dépit de l’existence de plusieurs textes de répression, de la mise en place de l’Institut National de la Femme et des actions quotidiennement menées par les différentes associations et Organisations non gouvernementales. Le cas le plus dramatique est celui de la violence physique exercée sur la femme enceinte et surtout le défaut des soins de santé à celle-ci.
La trentaine, Armelle (nom d’emprunt pour une victime qui a requis l’anonymat) femme au foyer, a prématurément accouché d’une fille en plein carrefour de son quartier au cœur de Cotonou suite à des coups violents à elle infligés par son conjoint. ‹‹ Mon conjoint avait l’habitude de porter régulièrement la main sur moi. Ce jour-là, il m’a violement battue parce que j’ai décroché son appel qui s’avère être sa maitresse. A la suite de ses coups, je suis entrée en travail instantanément ››, raconte la jeune femme les larmes aux yeux. Alors qu’elle se tordait de douleur sous l’œil indifférent de son conjoint, la jeune femme a essayé de se rendre à l’hôpital situé non loin de sa maison. Le bébé d’environ 8 mois est sorti de son ventre pendant qu’elle se trouvait au niveau du carrefour situé à quelques pas de sa maison. Son nouveau-né et elle se sont retrouvés à l’hôpital avec le secours des riverains. Dame Armelle souligne que c’est un bon samaritain qui a payé leurs soins avant qu’ils ne retournent sous le toit de son conjoint.
Ces violences semblent non fréquentes parce que bon nombre cache leur forfait. Néanmoins tout ne reste pas dans l’ombre. Pour ce qui concerne, dame Bertille (nom d’emprunt pour une autre victime qui a aussi requis l’anonymat), après une série de violences physiques exercées sur elle par son conjoint, elle a perdu son garçon mort en couche. Elle-même s’en est sortie de justesse après des complications poste accouchement. Elle raconte. ‹‹ La première fois que mon conjoint m’a frappée sur ma grossesse, j’étais à 4 mois. C’était parce que je me suis opposée qu’il amène une deuxième femme vivre dans la même maison que moi. Il m’avait roulée dans des tessons de bouteille en me donnant des coups partout ››. N’ayant pas fait jusque-là aucun soin prénatal, son premier contact avec les agents de santé a été pour cet accouchement. Ayant toujours à cœur ce malheur, Bertille n’a pu maitriser ses larmes en racontant son histoire. Coiffeuse de formation, elle dira que son conjoint a refusé d’exercer son métier et même d’avoir une activité rémunératrice. ‹‹ Je ne pouvais rien faire s’il ne me donne pas les moyens. Je restais affamée et sans aucun soin médical. J’ai finalement accouché d’un garçon qui est décédé quelques minutes après sa naissance. Moi-même j’ai failli mourir ››. Les violences sur une femme surtout lorsqu’elle est enceinte laissent donc des conséquences diverses et compliquées.
Impacts des violences sur la femme enceinte et le bébé
‹‹ La violence conjugale physique sur une femme enceinte peut provoquer un accouchement prématuré, entrainer une fausse couche, une naissance d’enfant mort-né ou mort en couche et le décès de la mère ››, selon Komlan Agossou, gynécologue obstétricien. Dès les trois premiers mois, les violences physiques exercées sur une femme enceinte engendrent parfois une fausse couche. Au cours du deuxième trimestre, on peut assister au décès de la femme et l’enfant. ‹‹ Lorsque la femme reçoit des coups sur le ventre, le placenta qui permet à l’enfant de survivre peut se décoller. Ce décollement du placenta va empêcher à l’enfant de se nourrir, donc il est fort probable qu’il meurt dans le ventre de la mère ››, explique le gynécologue. ‹‹ L’utérus est toujours distendu et le placenta est accolé à l’utérus et branché sur les verseaux sanguins de la maman. Donc la mère va saigner à flot à l’intérieur de l’utérus. Ainsi, la femme perd du sang sans le savoir. Elle sera alors anémiée et sa mort peut survenir ››, notifie t-il. Au troisième trimestre, un accouchement prématuré peut survenir. L’enfant peut également naître épileptique, parce qu’il a manqué d’oxygène à cause des complications selon le spécialiste. Il souligne aussi qu’il est possible que le placenta ne se décolle pas même si la grossesse est à terme. « Cette rétention placentaire expose la femme aux risques accrus de saignement important, d’infection et de décès », ajoute le gynécologue.
Les violences exercées sur une femme enceinte peuvent altérer les fonctions intellectuelles du bébé. Elles causent des troubles psychologiques et parfois physiologiques chez certaines femmes. ‹‹ La femme peut développer des psycho-somatisations. C’est-à-dire des maux qui n’ont pas vraiment d’origine médicale. Son corps peut manifester des acnés ou des urticaires par endroit ››, a notifié Comlan Kouassi psychologue clinicien et psychothérapeute de couple. Il se trouve qu’il y en a parfois qui tentent de se suicider au regard des violences qu’elles subissent. La femme sera toujours stressée et dans une telle ambiance, le futur bébé est précocement exposé au stress. La maman peut être dépressive, avoir d’importants troubles de sommeil, s’isoler et ne pas manger. Un ensemble de comportement qui est défavorable pour une croissance harmonieuse du fœtus.
Un mal en débat
Bien que des études spécifiques ne soient faites sur le cas des femmes enceintes, le rapport provisoire de l’année 2022 sur l’étude des Violences basées sur le genre (Vbg) conduit par l’Observatoire de la famille, de la femme et de l’enfant (Offe) révèle que 59% de femmes d’un âge supérieur ou égal à 15 ans sont victimes de Violence basée sur le genre au Bénin. Selon une nouvelle enquête d’Afrobaromètre, plus de la moitié des Béninois considèrent que la violence domestique est une affaire privée qui doit être traitée au sein de la famille plutôt qu’une affaire pénale qui nécessite une procédure judiciaire. Pourtant, l’article 124 de la Constitution du 11 décembre 1990 reconnait l’égalité entre l’homme et la femme. L’article 157 du code des personnes et de la famille dispose que chacun des époux, a le droit d’exercer la profession de son choix. L’article 30 de la loi portant prévention et répression des violences faites aux femmes prévoit que pour toute infraction pénale qui réprime des violences physiques ou sexuelles, le fait que la victime et l’auteur jouissent d’une relation domestique sera retenu comme circonstance aggravante. Mais, ‹‹ concernant les cas qui sont poursuivis devant les tribunaux, le manque de soutien, et de centres de transition provisoire à titre conservatoire ou centres d’hébergement des survivantes, la limitation de la prise en charge judiciaire aux sanctions pénales par les structures de prise en charge, l’insuffisance de ressources pour la réparation des survivantes, le manque de fonds disponibles pour la réinsertion et la réintégration des survivantes, sont autant de raisons qui découragent, démotivent et limitent désormais le recours à la justice ››, explique Hélèna Capo-Chichi, socio-anthropologue, experte Genre et Inclusion sociale, spécialiste des Violences basées sur le Genre. Il faut souligner que l’impunité qui en découle est aussi l’une des causes principales de la persistance des violences conjugales au Bénin.
Les victimes s’expriment…
Victime de violences avec des conséquences sur sa grossesse, dame Armelle n’a pas voulu faire recours à l’Institut National de la Femme ni à n’importe quelle association ou Organisation non gouvernementale. Elle trouve que procéder ainsi serait exposer son mari aux yeux du monde pour finir à la prison. Bien qu’elle n’ait aucune source de revenu pour assumer ses charges et celles de ses enfants, elle préfère ‹‹ laver le linge sale en famille ››. Alors, elle s’est plainte auprès de sa belle-famille. Sa belle-mère a fait savoir que c’est ainsi qu’elle était aussi régulièrement battue par son défunt mari qui est le beau-père de dame Armelle. Et qu’elle ne trouve pas du mal à ça. Une fois dans sa propre famille, c’est son grand frère qui lui conseille de ‹‹ tenir bon dans ce foyer car il n’y a pas mieux ailleurs ››. Sa mère lui recommande simplement d’obéir à son conjoint peu importe la situation. En ce qui concerne dame Bertille, elle n’a ni téléphone, ni télévision ou radio. Elle n’a aucune information concernant l’INF et les autres structures qui pourraient lui venir en aide. Ne sachant ni lire, ni écrire, elle a peur de dénoncer son mari qui l’a finalement mise à la porte. ‹‹ Il m’a finalement chassée de la maison. Il m’a interdit de venir chercher mes effets ou de venir voir mes autres enfants dont le premier à 12 ans et le plus petit, 4 ans. J’ai appris que mes enfants ne sont plus dans la maison avec lui et sa nouvelle femme. Je crains qu’il me tue ou qu’il tue mes enfants si je m’oppose à sa volonté ››, a confié Bertille. Signalons que le conjoint de dame Armelle et celui de dame Bertille ne reconnaissent pas avoir exercé de violences sur leurs femmes. Ce qui relance la relation homme-femme dans le foyer.